Mon conseil de lecture : Next Generation Performance Management par Alan L. Colquitt

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Le XXième siècle a vu apparaître quatre nouveaux genres littéraires : le roman policier, la science fiction, la bande dessinée et enfin, celui auquel cette chronique est dédiée, les « business books1 ».

Comme tout genre littéraire, le catégorie des « business books » possède ses navets et ses chefs d’oeuvre. Cette chronique a naturellement vocation à s’intéresser aux chefs d’oeuvre, même si des ouvrages moins aboutis pourront également être traités au gré de l’actualité ou de mon inspiration.

Pas un chef d’oeuvre, mais presque.

C’est le cas de Next Generation Performance Management2 de Alan L. Colquitt.

Cet ouvrage (« NGPM » dans la suite de la chronique) paru en 2017 ne peut prétendre au titre de chef d’oeuvre du genre, mais il est néanmoins digne d’être remarqué par la façon très complète, rigoureuse et innovante dont il traite le sujet difficile de l’évaluation des performances des collaborateurs.

Voilà 30 ans que je suis concerné par le sujet. D’abord pendant 10 ans chez Arthur Andersen en tant que sujet et acteur d’une procédure d’évaluation, puis pendant 20 ans comme dirigeant, comme concepteur et animateur des processus d’évaluation annuelle de mon entreprise.

Et chaque année, la procédure est modifiée pour adresser encore et toujours les mêmes sujets :

  • Faut-il mettre une note globale à l’évaluation ? Cela ne risque-t-il pas d’infantiliser les collaborateurs ?
  • Doit-on définir à l’avance le pourcentage de collaborateurs par note ?
  • L’évaluation doit elle concerner la personnalité du collaborateur ? Son potentiel ?
    Doit-on lier l’évaluation et l’augmentation de salaire ?
  • Doit-on parler du salaire lors de l’entretien annuel ?
  • Doit-on faire des évaluations plus souvent ?

Si vous avez été en charge d’un processus d’évaluation, vous vous êtes certainement posés ces questions.

L’intérêt de NGPM est que son auteur, Colquitt, essaye d’apporter à ces questions des réponses issues non pas de son expérience personnelle, mais d’une analyse approfondie de la littérature consacrée à ce sujet (d’où le sous-titre un peu pompeux « The Triumph of science Over Myth and Superstition ».)

Trois idées fortes

De cette analyse, il retire trois idées fortes :

Idée 1 – La pratique actuelle de l’évaluation des performances (qu’il baptise PM 1.0) est assise sur des paradigmes inconscients et démodés qui la condamne inéluctablement à l’inefficacité.

Idée 2 – Les procédures impliquant l’évaluation quantitative (notes) et/ou le classement des collaborateurs doivent être abandonnées, ainsi que le lien entre la gestion des performances et la rémunération.

Idée 3 – La nouvelle manière de gérer les performances (PM 2.0) doit s’appuyer sur une approche moins centrée sur l’individu et plus sur le groupe, moins sur l’atteinte des objectifs que sur la progression, et inventer de nouveau moyens de motivation.

Si l’auteur est plus convaincant dans sa critique des pratiques actuelles (idées 1 et 2) que dans sa proposition d’une approche alternative (idée 3), ses analyses méritent tout de même qu’on les regarde de près.

PM 1.0, des paradigmes dépassés et inefficaces

Colquitt montre que les procédures d’évaluation de performance reposent sur une vision de l’individu issue de théories maintenant dépassées : le collaborateur est une machine qui réagit à des stimulus (behaviorisme) pour la recherche de son propre intérêt (homo economicus) et sa relation avec l’entreprise est assise sur des intérêts divergents de ceux des dirigeants (théorie de l’agence).

Il insiste aussi sur le fait que l’on assigne des objectifs beaucoup trop larges à ces procédures d’évaluation pour qu’elles soient efficaces. Elles doivent à la fois décliner les objectifs stratégiques en objectifs individuels, communiquer ces objectifs aux collaborateurs, permettre de prendre des décisions sur des promotions, déterminer le montant des augmentations de salaire, assurer le développement personnel des collaborateurs, répondre à des contraintes légales, améliorer la performance collective.

Il est illusoire de penser qu’une seule et même procédure puisse répondre à des objectifs aussi variés et parfois contradictoires (comme les deux derniers de la liste).

Les évaluations quantitatives, c’est mal !

Dans la deuxième partie de NGPM, Colquitt s’attaque à deux vaches sacrées de la gestion des entreprises, les évaluations quantitatives et la rémunération au mérite (P4P – pay for performance.)

L’auteur attaque les évaluations quantitatives d’abord sous l’angle de leur absence de fiabilité. Les évaluateurs sont des humains et sujets à de nombreux biais qui mettent en question leur rationalité (il cite l’excellent et très recommandé ouvrage de Kahneman, prix Nobel d’économie, « Thinking Fast and Slow3 ».) Il mentionne aussi le biais assumé que représentent les notations forcées imposant des quotas de collaborateurs par niveau de notation.

Il précise néanmoins que, sur la base d’une étude récente, plus de 90 % des entreprises pratiquent l’évaluation quantitative4, et que, même si elle n’aiment pas ces procédures d’évaluations quantitatives, elles sont nécessaires pour déterminer les promotions et les augmentations.

Colquitt en conclut donc que si l’on veut passer à une nouvelle gestion des performances, il faut non seulement abandonner les notations mais aussi les pratiques de rémunération au mérite (ou en tout cas, les asseoir sur autre chose que la procédure d’évaluation des performances).

La rémunération au mérite, ce n’est pas mieux…

Colquitt souligne le fait que l’argent est au centre des procédures traditionnelles d’évaluation des performances. Cela part de l’idée que les collaborateurs sont principalement motivés par l’argent. Il remet en cause ce postulat, en s’appuyant notamment sur l’ouvrage Drive de Dan Pink5 qui identifie quatre facteurs essentiels pour la motivation d’un collaborateur :

  • Compétence : progresser, devenir meilleur dans ce que l’on fait, devenir un expert
  • Relation : faire partie d’un environnement dans lequel on se sent bien
  • Autonomy : se sentir libre
  • Purpose : Travailler pour un projet qui a du sens, et auquel on adhère

Ces objectifs6 sont plus importants que la rémunération pour motiver un collaborateur. La contrepartie d’une bonne performance peut prendre d’autres formes, comme des promotions plus fréquentes, un intéressement collectif aux résultats, des salaires systématiquement ajustés à la valeur de marché.

L’auteur cite même la visite personnelle du PDG à un collaborateur pour récompenser une performance hors du commun. Il faudra que j’essaye…

Quelle solution ?

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la description de cette nouvelle façon de gérer les performances que l’auteur appelle de ses vœux et qu’il a baptisée PM 2.0.

Sans être totalement convaincante, cette nouvelle approche ouvre des pistes intéressantes.

Colquitt met en avant l’importance des objectifs . « The science is clear, goals work » dit-il.

Les objectifs ne doivent pas être vus comme un contrat entre le collaborateur et l’entreprise, mais plutôt comme la concrétisation de la vision stratégique au niveau individuel. Ils donnent un sens au travail des collaborateurs.

Colquett insiste aussi sur l’importance des feedbacks donnés par les managers, et qui doivent porter sur la progression dans l’atteinte des objectifs et non pas sur les individus eux-mêmes.

Il y a d’ailleurs un passage savoureux sur le fameux « feedback sandwich » (deux compliments entourant une critique, plus connu sous le nom de shit sandwich !). L’auteur cite une étude montrant que, pour être digeste, le shit sandwich doit comporter au moins 6 louanges pour chaque reproche.

Quelles conséquences concrètes ?

La qualité d’un « business books » ne se mesure pas au simple plaisir de lecture qu’il procure, mais aux conséquences concrètes qu’il peut avoir dans la vie professionnelle de son lecteur.

En ce qui me concerne, si, contrairement à ce que préconise l’auteur, je ne vais pas abandonner l’utilisation de notes dans l’évaluation des performances de mes collaborateurs, je pense que je vais faire évoluer les pratiques de mon entreprise pour m’assurer que les notations aient un effet minime sur la rémunération, et pour que celle-ci soit beaucoup plus liée à une promotion ou à l’atteinte d’un niveau d’expertise.

Pour conclure, je recommande chaudement la lecture de NGPM à tous ceux doivent mettre en place une procédure d’évaluation des performances au sein de leur entreprise.

 

Je ne traduis pas cette expression car ce genre littéraire est très largement dominé par des auteurs anglo-saxons.
Disponible sur Amazon et non encore traduit en français : http://www.amazon.com/Next-Generation-Performance-Management-Superstition
3  Traduit en français sous le titre Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée : https://www.amazon.fr/Systeme-deux-vitesses-pensee
Ces études concernent des sociétés américaines. Sur la base de mon expérience personnelle, le taux de sociétés françaises pratiquant les évaluations quantitatives doit être très largement inférieur.
5 Drive, the surprising truth about what motivates us https://www.amazon.fr/drive- the-surprising-truth
Egalement disponible en français : https://www.amazon.fr/la-verite-sur-ce-qui-nous-motive
6 Facile à retenir sous l’acronyme : CRAP

Diplômé de l’ESCP et expert-comptable mémorialiste, Gilles Satgé passe les 10 premières années de sa carrière chez Arthur Andersen. De 1997 à 2001, il assume des responsabilités de direction chez Lexiquest, Sterling Software puis Webnet. Avec Frédéric Pot, il fonde Lucca en mars 2002. Il s’occupe plus particulièrement de la conception des logiciels.

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