
Levier N°4
Un cadre de travail souple adapté aux effets d’âge
Sommaire
Lorsqu’elle s’ancre dans la culture d’entreprise, la flexibilité permet aux collaborateurs de mieux ajuster leur rythme de travail à leurs contraintes personnelles, sans compromettre leur engagement. Résultat : on fidélise, en favorisant l’autonomie et en limitant les risques d’épuisement.
Encore faut-il savoir comment l’actionner. Et cela commence par une compréhension fine des besoins des collaborateurs.
« Les millenials veulent du sens et de l’autonomie », « Les seniors sont fidèles et attachés à la hiérarchie », « Les jeunes générations veulent de la flexibilité ». À en croire certains discours, notre date de naissance suffirait à prédire nos aspirations professionnelles.
L’idée que chaque génération partage des attentes homogènes repose sur une simplification excessive. Plusieurs études en gestion des ressources humaines et en sociologie du travail, notamment celle du sociologue François Dubet dans son ouvrage « Sociologie de l’expérience (1994) », montrent que les besoins professionnels ne sont pas uniquement dictés par l’année de naissance, mais surtout par des expériences vécues et des contextes socio-économiques.
Dès lors, les entreprises doivent proposer une flexibilité individualisée, qui accompagne les collaborateurs tout au long des évènements de vie (prise de responsabilités, parentalité, reconversion…) et non selon des critères d’âge ou de génération.
Comprendre les individualités
Un cadre théorique posé dans les années 2000 par le psychologue Douglas T. Hall dans son ouvrage « Careers In and Out of Organizations » identifie plusieurs étapes clés du parcours professionnel :
- l’entrée dans la vie professionnelle ;
- la montée en compétences et la prise de responsabilités ;
- la phase d’ancrage ;
- la transition vers la fin de carrière.
Ces travaux insistent sur le caractère non linéaire de ce parcours. Les transitions peuvent être revisitées.
S’ajoute à cela une couche de complexité : les événements personnels, comme par exemple la naissance d’un enfant ou la maladie d’un proche, qui peuvent modifier le rapport au travail à tout moment, indépendamment de l’âge ou du nombre d’années d’expérience.
C’est pourquoi il est essentiel d’adopter une vision flexible, en considérant les transitions ci-dessous comme des repères dynamiques plutôt que des catégories figées, et en intégrant la capacité à ajuster le cadre de travail en fonction des imprévus.
Encourager l’exploration (0-5 ans d’expérience)
Les premières années sont celles de l’expérimentation et de la formation. En début de carrière, les talents veulent apprendre, tester, changer de cap si nécessaire. Un environnement trop rigide peut freiner leur engagement et limiter leur projection à long terme.
80% des jeunes diplômés placent l’équilibre vie pro/vie perso en tête de leurs critères pour rejoindre une entreprise (Ipsos 2024). Preuve que décrocher un CDI ne suffit pas : ce qu’ils recherchent, c’est avant tout un cadre flexible.
Et si le télétravail est souvent perçu comme un atout incontournable pour les séduire, c’est parce qu’il cristallise plusieurs formes de liberté : celle d’échapper aux contraintes géographiques et de s’extraire des normes du bureau.
En parallèle, la flexibilité des horaires permet de mieux ajuster son emploi du temps aux imprévus du quotidien. Bref, ils facilitent la conciliation vie personnelle et ambitions professionnelles des collaborateurs.
Favoriser l’équilibre (5-15 ans d’expérience)
Une fois les premières années passées, les collaborateurs cherchent à se positionner durablement et gagner en responsabilité. C’est une période de consolidation. Mais cette période peut aussi être marquée par des tensions entre ambitions professionnelles et contraintes personnelles.
89 % des salariés français sont parents, et pour 98 % d’entre eux, concilier vie professionnelle et responsabilités familiales s’avère compliqué (Baromètre Les parents zens, 2023). À cela s’ajoute la réalité des proches aidants : d’ici 2030, un collaborateur sur quatre devra jongler entre son emploi et le soutien à un proche en perte d’autonomie (France Travail, 2024).
Pour mieux illustrer la réalité vécue par les salariés aidants, Sandra Fillaudeau, spécialiste de l’équilibre vie pro/perso et fondatrice du podcast Les Équilibristes, donne la parole à Julia Peyre, mère de trois enfants et aidante. Elle y partage avec justesse la complexité de son quotidien, entre responsabilités familiales et engagement professionnel.

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Aider les aidants
Par Sandra Fillaudeau, spécialiste de l'équilibre de vie pro/vie perso
En parallèle, 52 % des cadres déclarent que leur charge de travail nuit à leur équilibre de vie (Apec, 2023). L’affirmation professionnelle s’accompagne souvent d’une montée en responsabilités et d’une augmentation de la charge mentale qui peuvent générer un stress chronique, augmentant le risque d’épuisement et de désengagement.
Ces réalités traduisent ce que le psychanalyste Erik Erikson appelle la « générativité » : un stade de la vie où le collaborateur cherche à équilibrer responsabilités professionnelles et engagements personnels tout en construisant quelque chose qui a du sens. Cette quête d’équilibre peut impacter l’engagement et la performance si elle n’est pas prise en compte par l’entreprise.
Aparté – Retour à la phase exploratoire
À ce stade, certains remettent en question la trajectoire empruntée. La reconversion devient alors une voie envisagée pour retrouver de la cohérence dans son parcours professionnel. 48 % des actifs français déclarent avoir déjà songé sérieusement à un changement de cap (Baromètre de la formation professionnelle, 2023).
Donner un second souffle (15-30 ans d’expérience)
Les collaborateurs ont acquis des compétences solides, une vision stratégique de leur métier et, pour certains, un rôle managérial depuis plusieurs années. Leur parcours les place souvent en position de pilier au sein de l’équipe ou de référent métier.
À ce stade, l’ennui professionnel et la perte de sens sont des risques réels : 59 % des salariés expérimentés ressentent une forme de stagnation professionnelle après 20 ans d’expérience (Apec, 2022). Pourquoi ? Parce que la routine peut peser et que le sentiment d’avoir « fait le tour » de son poste s’installe progressivement.
C’est à ce moment-là que certains collaborateurs ressentent le besoin d’expérimenter des formes de travail plus souples, comme le temps partiel ou le portage salarial. Ils peuvent ainsi valoriser leur expertise autrement, à travers du consulting ou de l’enseignement par exemple, sans rompre le lien avec l’entreprise. D’autres choisissent de diversifier leurs activités, en cumulant plusieurs emplois ou projets professionnels.
Sécuriser la transition (+ 30 ans d’expérience)
Selon une étude du cabinet Alternego, 76 % des collaborateurs en fin de carrière sont prêts à s’engager dans du tutorat ou du mentoring pour transmettre leurs compétences aux nouveaux entrants. Encore faut-il que l’entreprise leur en donne réellement les moyens. Une organisation plus souple, via une réduction du temps de travail ou un allègement de la charge leur permet d’endosser ce rôle de transmission sans s’épuiser.
À l’approche de la retraite, un autre besoin émerge : celui de décrocher progressivement. L’arrêt brutal de l’activité peut être difficile à vivre, notamment pour les profils très investis. D’ici 2030, un quart des actifs sera concerné par cette transition, et pour 51 % d’entre eux, l’accompagnement proposé par leur entreprise est jugé insuffisant (Yce Partners). Dans ce contexte, un programme structuré peut faire la différence : bilans de carrière, ateliers de préparation à la retraite et diminution progressive du temps de travail.
Ne négligez pas les derniers mètres avant la ligne d’arrivée. Répondre à ces attentes par une organisation adaptée, c’est permettre aux collaborateurs de rester engagés jusqu’au terme de leur parcours, tout en assurant un passage de relais en douceur.
Orchestrer la fidélité
Les équipes RH détiennent les clés pour faire de la flexibilité un véritable levier de fidélisation. Penser cette dernière comme un système organisé est essentiel pour garantir l’équité et la pérennité des dispositifs.
Cela suppose d’abord un travail de fond : sonder les besoins réels des collaborateurs, les croiser avec les contraintes opérationnelles, puis structurer une politique claire, lisible et soutenable. Enfin, mettre en place une évaluation régulière des dispositifs permet de les ajuster à la réalité du terrain et de faire évoluer ce qui ne fonctionne plus.
Mais une politique, aussi bien pensée soit-elle, ne suffit pas. Encore faut-il qu’elle soit incarnée dans le quotidien. Et c’est là que les managers entrent en scène : ce sont eux qui rendent la flexibilité tangible dans les équipes, en modulant les objectifs, en ajustant les rythmes de travail ou en prenant en compte les imprévus personnels.
Une posture qui ne va pas de soi, comme le rappelle Sandra Fillaudeau :
La flexibilité ne se décrète pas dans un document RH. Elle se vit au quotidien, dans les interactions entre managers et collaborateurs. Et ça demande de savoir jongler entre écoute, cadre et confiance.
Les managers doivent composer avec des demandes individuelles parfois urgentes, sans sacrifier la cohésion d’équipe. Or, ils ne sont pas toujours formés pour cela. Manque d’outils, peur de créer des inégalités, injonctions contradictoires entre performance et bienveillance… les obstacles sont nombreux.
Pour les y aider, certaines pratiques recommandées par Sandra Fillaudeau peuvent faire la différence :
On peut imaginer des parcours de formation permettant une plus grande transversalité des compétences et savoir-faire au sein des équipes, pour qu’elles fonctionnent le plus fluidement possible, en prévoyant l’imprévu (qui arrive toujours !)
Autre levier à activer : encourager la co-responsabilité. Lorsqu’un collaborateur formule une demande (absence imprévue, ajustement temporaire…), il gagne à venir avec des solutions de réorganisation à l’échelle de l’équipe. Cela évite que toute la charge de l’ajustement repose sur le manager seul et favorise une dynamique collective.
C’est en étant portée par l’ensemble de l’organisation que la flexibilité peut réellement devenir un moteur de fidélisation durable. Aux premiers de poser les règles, aux seconds de les faire vivre sans blocages ni interprétations floues.
Cas d’usage inspirants
Travaillez d’où vous voulez : la flexibilité façon Alan
L’assurance santé Alan propose à l’ensemble de ses collaborateurs une politique de télétravail baptisée « Work from anywhere ».
Concrètement, il est possible de travailler depuis l’étranger jusqu’à 90 jours par an, à condition que le décalage horaire reste compatible avec celui de leur équipe.
Ce cadre clair, mais souple, permet aux collaborateurs de vivre des expériences personnelles fortes sans rompre le fil de leur engagement professionnel. Ils restent engagés sans renier leur besoin de mobilité. En savoir plus sur la politique de télétravail d’Alan
Épauler les aidants : l’engagement de La Poste
Un quart des collaborateurs sont aidants au sein de La Poste. Certains soutiennent un parent âgé, d’autres un conjoint malade ou un enfant porteur de handicap.
Derrière ce rôle invisible se cachent des répercussions lourdes : charge mentale accrue, fatigue chronique, isolement social, ou encore perte de revenus. Pour éviter que ces contraintes ne se transforment en renoncements, La Poste a imaginé un cadre de travail plus souple.
Les collaborateurs concernés peuvent bénéficier d’un temps partiel adapté, ainsi que d’un accès élargi au fonds de solidarité aidants, avec jusqu’à 30 jours de congés supplémentaires par an, renouvelables deux fois. L’organisation du travail s’ajuste également avec du télétravail renforcé, des horaires aménagés ou une mobilité facilitée pour se rapprocher du proche aidé.
Un guichet RH dédié agit comme un point d’entrée unique : il oriente les aidants dans leurs démarches (organisation du travail, aides externes, accompagnement administratif ou juridique) et leur permet de les accompagner pour solliciter les dispositifs existants (CAF, MDPH, dispositifs gouvernementaux, associations, etc.).
En parallèle, les managers sont sensibilisés pour mieux accompagner ces situations. Un cadre flexible qui permet aux salariés aidants de continuer à s’investir sans s’épuiser et à l’entreprise, de préserver leur engagement sur le long terme. En savoir plus sur les engagements de La Poste
Temps Partiel Senior : transition douce chez Sodexo
Préparer la fin de carrière ne devrait pas être synonyme de mise à l’écart ou de rupture brutale. Chez Sodexo, cette période est pensée comme une transition progressive, respectueuse des envies et du rythme de chacun. Pour accompagner ses collaborateurs seniors, le groupe a mis en place un dispositif de temps partiel aménagé dès 57 ans, sur la base du volontariat.
Concrètement, les collaborateurs peuvent réduire leur temps de travail jusqu’à 20% sans renoncer à leurs avantages : maintien du 13e mois, des cotisations retraite à 100 % et d’une partie de la rémunération. En parallèle, un programme dédié est proposé pour aider à préparer cette nouvelle étape : ateliers de projection, conseils administratifs, accompagnement au changement de rythme.
Cette approche séduit les profils expérimentés qui souhaitent lever le pied sans couper le lien. Elle permet de préserver leur engagement. En misant sur un cadre souple et encadré, Sodexo valorise les dernières années de carrière et renforce la fidélité jusque dans la transition. En savoir plus sur le temps partiel senior de Sodexo.
Vous l’aurez compris, les besoins des collaborateurs ne s’anticipent pas à base de préjugés : ils s’écoutent, se verbalisent et se construisent dans le dialogue. Des dispositifs adaptés aux effets d’âge permettent aux talents de rester engagés sans subir une pression incompatible avec leur réalité.
Sources : France Travail – Ipsos – Baromètre Les Parents Zens – Yce Partners – Alternego – CNAM – Welcome to the Jungle
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